Sortir de l'ombre

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Equilibrons un peu ce blog. Effectivement, m’autocensurant de facto sur la partie ‘‘mission professionnelle’’ je me rends compte qu’inconsciemment, je relate quasiment exclusivement mes sorties vacances ou évènementielles à grand renfort de photos, en omettant d’autres instants de ma vie ici parfois moins réjouissant qui se noient dans le quotidien. Assurément, il est plus agréable de partager des moments de joies que des situations moins roses, toutefois, le prisme de mes posts successifs, finit par présenter une réalité tronquée  de la vie à Bobo.

Aussi, aujourd’hui je vais vous raconter une histoire sans blague ni petit jeu à la fin, une histoire du quotidien. Par commodité, je vais la raconter de façon chronologique, qu’en bien même je l’ai découverte tel un puzzle depuis maintenant 9 mois.

 

J’ai un très bon ami (le nom n’apporterait rien là-dedans) qui a 2 grandes sœurs et a eu 3 petits frères dont 2 étaient jumeaux. Alors qu’ils étaient encore bébés, ces derniers ont souffert d’une méningite et si l’un pu être sauvé au prix de lourdes conséquences neurologiques, le second fût emporté par la maladie.

Bien des tentatives ont été entreprises par les parents puis le papa seul (la maman étant trop rapidement décédée) pour soigner l’enfant survivant. Médecine moderne comme médecine traditionnelles apportèrent leur lots d’espoirs … puis d’échecs. Certains médecins renommés vinrent même du Mali pour proposer des soins au petit, mais rien ne permit une évolution positive. Ainsi, il a 23 ans aujourd’hui et souffre toujours des lourdes conséquences de sa maladie, à savoir une déficience mentale lourde avec une incapacité à communiquer, l’incontinence, des crises d’épilepsies, etc…

. Au cours des 10 dernières années ses sœurs ont quittés la cour familiale pour rejoindre leurs foyers maritales, le dernier petit frère fait ses études à Ouaga et le papa a accueilli différentes belle-mères qui ont toujours eues pour trait commun un non intérêt voir une haine des enfants issus du premier mariage du papa.

Jusqu’à une époque, mon ami parvenait à concilier sa vie de famille (marié et père d’un enfant) et sa vie professionnelle avec le temps et l’attention que nécessitent chaque jour son petit frère. Ainsi, il avait installé des crochets au portail de la cour afin qu’il puisse profiter du plein air et faisait régulièrement des promenades avec lui dans le quartier.

Puis différents évènements sont venus changer la donne.

Tout d’abord son travail ne lui permettait plus de s’occuper ainsi de son petit frère, il demanda donc au papa de prendre le relais.

Un jour, le jeune parvint à sortir de la cour alors qu’il était seul et passa très près de la noyade. Un voisin l’ayant vu en grande difficulté dans la rivière située à une centaine de mètres de la cour, eut peur de s’approcher pour tenter de le sauver, mais vint en courant informer mon ami qui par chance rentrait à cet instant du service. Ce dernier s’empressa et sauva in extremis son petit frère.

 Régulièrement, étant incommodé par ses selles, il se dévétissait dans la cour. Par ailleurs, ayant une faible capacité de discernement, même juste après un repas il pouvait venir dévorer tout ce qui traînait dans une marmite ou plus simplement la renverser.

Cette situation, déplaisait fortement à la marâtre qui finit par convaincre son époux de prendre la solution la plus classique ici… l’enfermement. Ainsi, il vit depuis dans un bâtiment de 2 mètres sur trois. Le logement est perpétuellement fermé avec des volets légèrement entrebâillés laissant passer quelques rayons à l’intérieur en fin de journée. Il n’y a pas de radio, pas de télé, pas de lit, juste du linge pour se coucher.

La première fois que j’ai été invité chez mon ami, j’ai découvert l’existence de ce petit frère, celle-ci ne pouvant d’ailleurs être cachée car on l’entend assez régulièrement pousser des cris.

De mémoire, j’ai dû proposer d’aller le saluer, mais j’ai essuyé un refus et m’y suis soumis.

 

Puis les mois sont passés, je suis venu de plus en plus réguliérement chez mon ami, en moyenne je dois bien y venir 3 fois par mois. Très souvent, j’ai entendu les cris de son frère et j’ai essayé comme tout le monde de m’en incommoder, c'est-à-dire feindre de ne pas leur donner d’importance en continuant mes occupations du moment. C’est tellement plus simple d’ignorer. En fait, tout mon corps était d’accord pour ignorer, seule ma conscience venait foutre sa merde la dedans. On peut tenter de l’ignorer elle aussi, mais çà ne marche pas! Du coup, il y a un moment, sans qu’on sache pourquoi ce moment, où on se dit « Merde, je dois réagir, je dois en parler avec mon ami même si c’est tabou, je dois faire quelque chose pour cet homme car je ne peux pas rester sans rien faire. Si j’accepte l’inhumain, je cesse d’être humain » Il n’est pas impossible que cette réaction soit liée à l’évangile de St Paul aux corinthiens ( 1 CO 12, 12-27) que nous avons entendu au mois de janvier dont je vous remets un extrait : 

Ainsi le corps n'est pas un seul membre, mais il est formé de plusieurs membres.

12:15

Si le pied disait : Parce que je ne suis pas une main, je ne suis pas du corps-ne serait-il pas du corps pour cela ?

12:16

Et si l'oreille disait : Parce que je ne suis pas un oeil, je ne suis pas du corps, -ne serait-elle pas du corps pour cela ?

12:17

Si tout le corps était oeil, où serait l'ouïe ? S'il était tout ouïe, où serait l'odorat ?

12:18

Maintenant Dieu a placé chacun des membres dans le corps comme il a voulu.

12:19

Si tous étaient un seul membre, où serait le corps ?

12:20

Maintenant donc il y a plusieurs membres, et un seul corps.

12:21

L'oeil ne peut pas dire à la main : Je n'ai pas besoin de toi ; ni la tête dire aux pieds : Je n'ai pas besoin de vous.

12:22

Mais bien plutôt, les membres du corps qui paraissent être les plus faibles sont nécessaires ;

12:23

et ceux que nous estimons être les moins honorables du corps, nous les entourons d'un plus grand honneur. Ainsi nos membres les moins honnêtes reçoivent le plus d'honneur,

12:24

tandis que ceux qui sont honnêtes n'en ont pas besoin. Dieu a disposé le corps de manière à donner plus d'honneur à ce qui en manquait,

12:25

afin qu'il n'y ait pas de division dans le corps, mais que les membres aient également soin les uns des autres.

12:26

Et si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui.

12:27

Vous êtes le corps de Christ, et vous êtes ses membres, chacun pour sa part.

 

 

Du coup, je n’ai pas attendu longtemps pour agir. Ca m’a trotté  dans la tête le matin et le midi, je profitai de partager une calebasse de dolo avec lui au cabaret pour lancer le sujet. Finalement pour en parler avec lui, c’était peut être pas plus mal d’avoir attendu autant de temps, car notre amitié est davantage prête aujourd’hui à se dire les choses franchement sur ce type de sujet et je pouvais me mettre en même temps que lui sur le banc des accusés n’ayant jamais vraiment insisté pour ne serait ce que saluer son petit frère en 9 mois. Cette discussion m’a permit de mieux comprendre l’histoire de ce petit frère, ce qu’il vit aujourd’hui.

De mon côté, il en a résulté 2 engagements personnels. Le premier, me renseigner pour trouver un centre d’accueil… mais les premiers résultats sont un zéro pointé doublé d’un certain pessimisme, vu que sur les personnes que j’ai pu interroger à ce sujet, aucun centre n’existerait… toutefois je n’ai pas dit mon dernier mot pour autant, je vais continuer à contacter les personnes que je connais dans les milieux associatifs et médico-sociaux.

Le second de passer le voir une fois par semaine, d’une part pour lui rendre visite et essayer à terme de le sortir un peu, d’autre part pour inspirer à la famille d’en faire de même. Mais là, c’est aussi pour le moment un échec. Je dis pour le moment car je pense que c’est une question de persévérance et d’étapes. En fait, j’ai bien essayé de le voir, mais son frère m’a avoué que çà fait maintenant 3 ans qu’il est enfermé, 3 ans qu’il n’a pas mit un pied dehors, 3 ans qu’il se fait des plaies en se cognant contre les murs et également un bon bout de temps qu’il n’a pas été coiffé et rasé. En conséquence, il me dit qu’il n’est pas présentable pour le moment et qu’il faudrait préalablement le  ‘‘préparer’’.

J’ai rappelé à mon ami que la convention des prisons interdisait que même le pire des salopards des hommes de ce monde ne fassent plus de 45 jours de mitards et encore avec une heure de promenade par jour… son petit frère a dépassé les 1000 jours sans aucune sortie !

Maintenant, forcément çà a tellement duré que tout est compliqué. Je comprends que la famille se trouve dans une position bien inconfortable et qu’il est difficile de faire machine arrière, de s’occuper à nouveau du petit frère comme on doit s’occuper d’un frère, d’affronter les contraintes que cela ne manquera pas de poser comme le regard des gens du quartier ou des visiteurs. Moi dans tout çà, je vais insister pour que çà se fasse, sans être trop pressant, mais avec un vrai entêtement de breton.

 

L’histoire de ce garçon de 23 ans est vraiment choquante, mais il ne faut pas oublier avant de juger qui que ce soit, que la famille s’est tout de même longtemps battue pour lui avant de baisser les bras puis de laisser pourrir la situation. Ici, dans la majorité des cas, le traitement réservé aux handicapés mentaux est bien plus radicale. Ainsi, en brousse, dés qu’on pressent la folie (ici on ne parle jamais de malades mais toujours de fou) on l’attache à un arbre. En ville, la solution directe est l’enfermement. Eux, se disent que vu qu’ils ne peuvent pas soigner le fou, il est préférable de l’attacher et de l’isoler pour qu’il ne fasse de mal ni à lui-même ni aux autres. Voilà comment on en arrive là !

 

Je vous tiendrai au courant dans mes prochain post, s’il y a du neuf pour ce garçon. Prenez soin de vous et de vos frères car nous ne formons tous qu’un seul corps !

 

Bon mois de février à tous

 

Yann

 

Ps : Première petite victoire du têtu de breton ;-)) Comme prévu, j’ai relancé la question de la date à laquelle je pourrai visiter le petit frère sur le tapis toutes les semaines et hier soir j’ai pu le saluer. La porte s’est seulement entrouverte un petit quart d’heure, le petit frère était particulièrement affaiblit par une récente crise d’épilepsie. Il ne peut pas tenir sur ses jambes car étant enfermé dans une pièce si petite ses muscles se sont complètement atrophiés et sont gros comme mes avant bras. Moi en fait j’ai pas su trop quoi lui dire et lui ne parle pas. Toutefois, j’ai le sentiment qu’il reconnait les gens et il n’est pas impossible du tout qu’il les comprenne. Maintenant, je vais m’en tenir à mon plan … une visite par semaine. On verra dans quelle mesure ses visites peuvent s’agrémenter de sortie avec le temps, par ailleurs (déformation professionnelle oblige) en le voyant je me suis fixé un nouvel objectif. Je souhaite qu’un jour en venant le voir il m’offre un sourire, ce jour là je serai que je lui aurai rendu un peu d’humanité ;-))

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P
<br /> Super intéressant ptit Yann... surtout la partie sur les citations.<br /> Cela faisait un moment que je n'avais pas regardé ton blog (cela ne sert à rien de mentir...) mais en tout cas, cela donne une fois de plus envie de partir.<br /> En france, nous nous préparons au mariage de So (demain) la chanson est prête et il ne manque plus que les retrouvailles des interprètes.<br /> Je te raconterai<br /> A+<br /> <br /> <br />
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M
<br /> salut le breton,<br /> alors as tu des news de ton jeune homme ?<br /> dis moi tu as peut être une vocation d'éducateur....<br /> courage courage<br /> on est ensemble<br /> tata emilie<br /> <br /> <br />
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E
<br /> Merci petit frère pour ce beau et touchant témoignage.C'est une belle réflexion de carême que tu nous offres en nous faisant nous poser la question de la place que nous faisons dans notre propre<br /> vie de ces handicapés que nous aussi avons tendance à éviter par peur et par bêtise. Pour trouver un centre d'accueil au Burkina cela me parait encore plus difficile qu'en France, mais tu peux<br /> essayer de voir avec Pauline (dont je t'ai envoyé les coord) à Ouagadougou.Parfois les capitales sont plus équipées en système de soins.<br /> Merci encore et bon courage pour persévérer dans cette belle voie de l'Amour de l'Autre.<br /> la Rouvière's family<br /> <br /> <br />
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V
<br /> bravo, mais tu sais, parole de vieux (un peu sage), ton courage n'y suffira pas, il faut que tu y ajoutes une certaine dose de prière, sujet sur lequel nous allons te donner un coup de main.<br /> je note également que l'Afrique t'as beaucoup apporté dans un domaine : LA PATIENCE. y'avait du boulot:-))))))<br /> <br /> <br />
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